Selon la conviction unanime de l'ancienne Chrétienté et de toutes les
autres humanités traditionnelles, la cause de la souffrance dans le monde est la
déchéance de l’homme et non un simple manque de science et d'organisation.
Nul progrès ni nulle tyrannie ne viendra jamais à bout de la souffrance; seule la
sainteté de tous y parviendrait dans une certaine mesure, s'il était possible en fait
de la réaliser et de transformer ainsi le monde en une communauté de
contemplatifs et en un nouveau Paradis terrestre.
Ce n'est pas à dire, assurément,
que l'homme ne doive pas, conformément à sa nature et au simple bon sens,
chercher à vaincre les maux qui se présentent dans sa vie; pour cela, il n’a
besoin d’aucune injonction divine ni humaine. Mais chercher à établir dans un
pays un relatif bien-être en vue de Dieu est une chose, et chercher à réaliser le
bonheur parfait sur terre et en dehors de Dieu en est une autre ; ce second but est
voué d'avance à l'échec, précisément parce que l’élimination durable de nos
misères est fonction de notre conformité à la Nature divine, ou à notre fixation
dans le « royaume de Dieu qui est au-dedans de vous ».
Tant que les hommes
n'auront pas réalisé l’ « intériorité » sanctifiante, l'abolition des épreuves
terrestres est non seulement impossible, elle n'est même pas désirable; car le
pécheur — l’homme « extériorisé » — a besoin de souffrance pour expier ses
fautes et pour s’arracher au péché, ou pour échapper à « l’ extériorité » dont le
péché dérive.
Au point de vue spirituel, qui seul tient compte de la vraie cause
de nos calamités, le mal est, non par définition ce qui fait souffrir, mais ce qui,
même avec un maximum de confort ou d’agrément, ou de « justice » si l’on
veut, frustre un maximum d’âmes de leurs fins dernières. Tout le problème se
réduit en somme au nucléus de questions suivant : à quoi bon éliminer des effets
si la cause demeure et continue à produire indéfiniment des effets semblables ?
Et à plus forte raison : à quoi bon éliminer les effets du mal au détriment de
l'élimination de la cause même ; et enfin, à quoi bon les éliminer en remplaçant la cause par une autre encore bien plus pernicieuse, à savoir la haine du
Souverain Bien et la passion des choses impermanentes ? En un mot : si l'on
combat les calamités de ce monde en dehors de la vérité totale et du bien ultime,
on créera des calamités incomparablement plus grandes, à commencer,
précisément, par la négation de cette vérité et la confiscation de ce bien ; ceux
qui entendent libérer l'homme d'une « frustration » séculaire sont en fait ceux
qui lui imposent la plus radicale et la plus irréparable des frustrations.
Les fruits de l'utopie communiste |
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Comprendre la religion, c'est l'accepter sans lui poser des conditions désinvoltes ; lui poser des conditions, c'est évidemment ne pas la comprendre et la rendre subjectivement inefficace ; l’absence de marchandage fait partie de l'intégrité de la foi. Poser des conditions, — que ce soit sur le plan du « bien-être » individuel ou social ou sur celui de la liturgie que l’on voudrait aussi plate et triviale que possible, — c’est ignorer fondamentalement ce qu'est la religion, ce qu’est Dieu et ce qu'est l’homme; c’est réduire d’emblée la religion à un arrière plan neutre et inopérant qu’elle ne saurait être en aucune façon, et c’est lui enlever d’avance tous ses droits et toute sa raison d’être.
L'humanitarisme profane, avec lequel la religion officielle entend se confondre de plus en plus, est incompatible avec la vérité totale et par conséquent aussi avec la véritable charité, pour ia simple raison que le bien-être matériel de l’homme terrestre n’est pas tout le bien-être et ne coïncide pas, en fait, avec l'intérêt global de la personne humaine immortelle.
« Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît »
Matthieu (6, 33)
Source : Esotérisme comme principe et comme voie - Frithjof Schuon
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