dimanche 10 janvier 2021

Les aryens ne sont pas une race - Shri Aurobindo

 Voici ce que Sri Aurobindo, poète, révolutionnaire et yogi indien entendait par le terme « Aryen », mot trop souvent mal utilisé et mal compris en Occident. Ce texte est extrait d’une réponse que Sri Aurobindo donna à un lecteur de « l’Arya », une revue qu’il éditait au début du 20ème siècle :

Aryen -

Les Indiens connaissent ce mot, mais il a perdu pour eux l’importance qu’il revêtait pour leurs ancêtres. La philologie occidentale en a fait un terme ethnologique lié à une race mal définie dont varie la valeur suivant les hypothèses. Il en est, maintenant, qui même parmi les philologues, commencent à reconnaître que ce terme, en son emploi originel, exprimait non une différence de race, mais une différence de culture. Dans le Véda, en effet, les peuples aryens sont ceux-là qui avaient accepté un mode particulier de culture de soi, d’entraînement intérieur et extérieur, d’idéalité, d’aspiration. Les dieux aryens étaient les puissances supra-physiques aidant les mortels dans leur lutte pour acquérir la nature de la divinité. Ce mot ârya résumait à lui seul les plus hautes aspirations de la race humaine à son début, son plus noble tempérament religieux et les tendances les plus idéalistes de sa pensée.  




     Plus tard, le mot ârya exprima un idéal éthique et social particulier, un idéal de vie bien conduite, de sincérité, de courtoisie, de noblesse, de loyauté, de courage, de bienveillance, de pureté, d’humanité, de compassion, de protection des faibles, de générosité, d’observance du devoir social, de soif de connaissance, de respect pour les sages et les savants et les réalisations sociales. C’était l’idéal à la fois du brâhmane et du kshatriya (1). Tout ce qui s’écartait de cet idéal, tout ce qui tendait à être vil, mesquin, obscur, grossier, cruel ou faux était qualifié de non aryen. Aucun mot du langage humain n’a de plus noble histoire.


(1) Brâhmane et Kshatriya : la caste sacerdotale et la caste chevaleresque


    Aux premiers temps de la philologie comparée, lorsque les érudits cherchèrent dans l’histoire des mots l’histoire préhistorique des peuples, on crut que le mot ârya dérivait de la racine ar, labourer, et que les Aryens védiques furent ainsi nommés quand ils se séparèrent de leurs parents du Nord-Ouest, qui méprisaient les travaux d’agriculture et demeurèrent bergers ou chasseurs. 

Cette hypothèse ingénieuse n’a guère ou même point de base. Mais en un sens, nous pouvons accepter la dérivation. Quiconque cultive le champ que l’Esprit Suprême a fait pour lui – sa terre de plénitude intérieure et extérieure – quiconque ne le laisse pas sans produire ni ne permet que l’ivraie l’étouffe, mais travaille pour en tirer tout ce qu’il peut donner, celui-là, par cet effort même, est un Aryen.


      Si ârya n’était qu’un terme de race, une étymologie plus vraisemblable serait ar, force ou vaillance, qui vient de ar, combattre, d’où Arès, le nom du dieu grec de la guerre, et peut-être même aréïos, vertu, qui a d’abord, comme le latin virtus, le sens de force et de courage physiques, puis celui de force et d’élévation morales. Nous pouvons aussi accepter ce sens pour ârya. « Nous combattons pour acquérir la Sagesse sublime, c’est pourquoi les hommes nous appellent guerriers. » 

Car la Sagesse implique choix et connaissance de ce qui est le meilleur, le plus lumineux, le plus divin. Certainement, elle signifie aussi la connaissance de toutes choses, la charité et le respect à l’égard de toutes choses, même de celles qui paraissent les plus misérables, les plus laides ou les plus obscures, pour l’amour de la Déité universelle qui choisit de demeurer également en toutes. Mais encore, la règle de l’action correcte est un choix, c’est préférer ce qui exprime la divinité à ce qui la dissimule. Et le choix entraîne une bataille, une lutte. On ne le fait pas facilement et on ne le met pas facilement en pratique.



      Quiconque fait ce choix, quiconque cherche à s’élever de palier en palier vers la hauteur divine, sans rien craindre, sans se laisser rebuter par aucun retard ni aucun échec, sans se dérober devant une vastitude parce qu’elle est trop vaste pour son entendement, ni devant une hauteur parce qu’elle est trop haute pour son esprit, ni devant une grandeur parce qu’elle et trop grande pour sa force et son courage, celui-là est l’Aryen, le combattant et le vainqueur divins, le noble, aristos, le meilleur, le shreshtha de la Guîta.


     Intrinsèquement, dans son sens le plus fondamental, ârya veut dire effort, ascension, triomphe. L’Aryen est celui qui combat et triomphe de tout ce qui, en lui ou hors de lui, fait obstacle au progrès humain. La conquête de soi est la première loi de sa nature. Il triomphe de la matière et du corps et n’accepte pas, comme le fait l’homme ordinaire, leur pesante lenteur, leur inertie, leur routine mortelle et leurs limitations tamasiques (2). 

Il triomphe de la vie et des énergies vitales et refuse d’être dominé par leurs faims et leurs fringales ou asservi par leurs passions râdjasiques (3). Il triomphe du mental et de ses habitudes, il ne vit pas dans une coquille d’ignorance, de préjugés héréditaires, d’idées communes, d’opinions agréables mais sait comment chercher et choisir, comment être d’une intelligence large et souple, tout en ayant une volonté ferme et forte. Car en toutes choses, il recherche la vérité, en toutes choses la justice, en toutes choses la grandeur de la liberté.


     Pour lui, le but de sa conquête de soi est sa propre perfection. Il ne détruit pas donc pas ce qu’il conquiert, mais l’ennoblit et le complète. Il sait que le corps, la vie et le mental lui sont donnés afin qu’il parvienne à quelque chose qui leur soit supérieur ; ceux-ci doivent donc être dépassés et surmontés, leurs limitations repoussées, et l’assouvissement de leurs plaisir rejeté. 

Mais il sait également que le Très-Haut n’est pas une nullité dans le monde, mais qu’Il s’y exprime de plus en plus, que c’est une Volonté, une Conscience, une Béatitude divine, un Amour divin se déversant, dans les termes de la vie inférieure, sur celui qui Le trouve et, alentour sur tout ce qui est capable de Le recevoir. C’est cela qu’il cherche, et il en est le serviteur et l’amant. Quand il l’a atteint, il le répand sur l’humanité sous forme d’activité, d’amour, de joie et de connaissance. L’Aryen, en effet, est toujours un travailleur et un guerrier. Il ne s’épargne aucun labeur mental ou corporel, soit qu’il cherche le Très-Haut, soit qu’il Le serve. Il n’esquive aucune difficulté, ni ne cède à la fatigue. Il combat sans cesse pour l’avènement de ce royaume en lui-même et dans le monde…


(2) Tamasique : de tamas, l'un des 3 gunas (qualités) à l'origine de toute manifestation. Tamas représente l'obscurité, l'ignorance.


(3) Radjasique : de radjas, le guna de dynamisme, de passion


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